L'indemnisation par la solidarité nationale d'un accident médical non fautif consécutif à un acte de chirurgie esthétique

L'indemnisation par la solidarité nationale d'un accident médical non fautif consécutif à un acte de chirurgie esthétique

Auteur : BIZARD Marie-Cécile
Publié le : 06/05/2015 06 mai mai 05 2015

Le législateur, dans sa loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2015 du 22 décembre 2014, a introduit dans le Code de la santé publique un article excluant du dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale les dommages imputables « à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice », et ce à compter du 1er janvier 2015.Une intervention ferme du législateur


C'est d’une situation particulièrement dramatique dont ont eu successivement à connaitre le TGI, la Cour d’Appel de Paris, puis, en 2014, la Cour de Cassation.


La jeune Élise Z, âgée de 22 ans, avait décidé de recourir à une liposuccion, souffrant de son état de surpoids.
Admise dans un établissement de santé parisien, elle y est victime, lors de l'anesthésie, d’un malaise cardiaque qui sera fatal.

L'affaire a été portée devant les juridictions civiles et les expertises ont conclu sans équivoque à un accident médical non fautif. Aucune faute médicale n’était donc susceptible d'être retenue ni à l'encontre de l'établissement de santé ni à l'encontre des praticiens.

Il fut néanmoins reproché à ces derniers un manquement à leur obligation d’information (renforcée en l’espèce) et ils furent condamnés à prendre en charge 30% des préjudices au titre de la perte de chance : la jeune fille, non informée des risques, n’avait en effet pas eu la possibilité de renoncer à l’intervention.


Restait le point de l'indemnisation de 70 % de préjudices restants, constitués en l’espèce des préjudices moraux des ayants-droit et des frais d'obsèques.


Un accident médical survenu à l’occasion d’un geste chirurgical à des fins esthétiques était-il constitutif d’un acte de soins et susceptible d’être indemnisé au titre de la solidarité nationale ?

On rappellera en effet que la loi du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », dite « loi Kouchner », avait notamment instauré un régime d’indemnisation des aléas thérapeutiques qui permettait, en l’absence de faute de l’établissement de santé ou du praticien et dans certaines conditions de gravité, l’indemnisation des accidents médicaux non fautifs par la solidarité nationale.


Une opération de chirurgie esthétique ou de confort devait-elle être considérée comme entrant dans le champ d’application de la loi ?


En l’espèce, la Cour d'Appel de Paris avait fait droit à la demande des ayants-droit et condamné l’ONIAM qui contestait vigoureusement devoir indemniser les victimes par ricochet.

L’ONIAM a porté l'affaire devant la Cour Suprême, maintenant avec beaucoup de fermeté que l'acte pratiqué était un acte de chirurgie esthétique et qu'en conséquence il ne s'agissait pas d'un acte de soins, de diagnostic ou de prévention susceptible de mettre en œuvre la solidarité nationale.

Il soutenait que :

« les actes de chirurgie esthétique, qui tendent à modifier l'apparence corporelle d'une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, ne sont pas des actes de prévention, de diagnostic ou de soins au sens de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique, qui prévoit, sous certaines conditions, la réparation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices du patient et de ses ayants droit en cas d'accident médical directement imputable à un tel acte, lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement médical n'est pas engagée ; qu'en retenant que l'administration de médicaments sédatifs en préopératoire destinée à apaiser l'angoisse d'une personne qui allait être soumise à une opération de chirurgie esthétique constitue un acte de soins, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ».

Il relevait également que :

« l'acte médical dont le seul objet est de permettre à une personne d'être en condition physique ou psychique pour la réalisation d'un acte insusceptible de constituer un acte de prévention, de diagnostic et de soins ne peut lui-même constituer un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'administration des sédatifs a été réalisée en préparation d'une opération chirurgicale esthétique pour apaiser les angoisses de la personne concernée, et avait pour seul objet de permettre à cette dernière de subir une opération sans visée thérapeutique ou reconstructrice ; qu'en retenant que peu importait le motif de l'opération chirurgicale dès lors que l'administration de sédatifs intéressait directement la santé de la patiente, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ».

L’ONIAM niait donc tant à l’acte de chirurgie esthétique qu’aux actes préparatoires tout caractère d’acte de soin, de prévention ou de diagnostic.

La cassation était donc sollicitée.


Par un arrêt en date du 5 février 2014, la Cour de cassation n’a pas fait droit à l’argumentation de l’ONIAM et a rejeté le pourvoi, indiquant que :

« Les actes de chirurgie esthétique, quand ils sont réalisés dans les conditions prévues aux articles L. 6322 1 et L. 6322 2 du Code de la Santé Publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, constituent des actes de soins au sens de l'article L. 1142 1 du même code ».

Les enjeux étaient importants dans la mesure où les actes de chirurgie esthétique se sont considérablement répandus et que les accidents médicaux survenus au décours de telles interventions ne sont plus rares.


Cette situation ne pouvait manquer d’émouvoir l’ONIAM qui voyait ainsi augmenter sa vocation à intervenir, contrairement à ses capacités de financement.

Le débat n’était pas neuf et, si la jurisprudence et la doctrine divergeaient, il semblait désormais clos par cet arrêt parfaitement clair.


C’était compter sans le législateur qui, dans sa loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2015 du 22 décembre 2014, a introduit dans le Code de la santé publique un article excluant du dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale les dommages imputables « à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice », et ce à compter du 1er janvier 2015.

Cet article dispose :

« I. – La section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complétée par un article L. 1142-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1142-3-1. – I. – Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l’article L. 1142-1, à l’article L. 1142-1-1 et à l’article L. 1142-15 n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi.
« II. – Toutefois, le recours aux commissions mentionnées à l’article L. 1142-5 exerçant dans le cadre de leur mission de conciliation reste ouvert aux patients ayant subi des dommages résultant des actes mentionnés au I. »
II. – Le présent article s’applique aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014.
»

La victime d’un accident médical non fautif doit désormais rapporter la preuve que l’acte médical litigieux a été effectué à des fins thérapeutiques.

Si la solution peut se comprendre dès l’instant où l’on peut considérer que la solidarité nationale n’a pas à prendre en charge la réalisation de risques acceptés par des patients soucieux de leur seule apparence physique et ce de façon parfois très subjective, il ne peut toutefois qu’être regretté que soit également nié le caractère incontestablement thérapeutique de certains gestes esthétiques sur la santé psychologique, voire psychiatrique du patient.



Cet article n'engage que son auteur.

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